(6/04/2008)
Bien avant sa campagne présidentielle et largement depuis, Sarkozy a usé et use du vocabulaire avec une approximation volontaire, dans le but de provoquer des associations d'idées appropriées à ses objectifs politiques. D'autres que moi ont souligné depuis longtemps déjà le jeu redoutable auquel la communication sarkozienne s'adonne sans retenue aucune.
Deux mots ont frappé à nouveau cette semaine : réforme et modernisation. Déjà fort usités par notre Président, ils méritent toute notre attention puisqu'ils voleront bien souvent au secours d'une politique réactionnaire et inféodée au capitalisme financier, pour l'habiller de costumes recueillant plus facilement l'approbation ou l'indifférence populaire (ce qui peut suffire à la tranquillité du pouvoir).
Ainsi, réforme et modernisation résumeraient aujourd'hui, à les entendre dans la bouche de Sarkozy, l'idée de progrès. Car ne nous y trompons pas : l'objectif est de tromper, mais de déconstruire en même temps les représentations opposées qui existent encore aujourd'hui, ne leur en déplaise, à savoir la représentation progressiste et celle du conservatisme, voire de la réaction.
Car enfin, nous pouvons rappeler ici que la réforme n'est rien d'autre que l'action de gouverner, et que le mot n'est nullement coloré par la méthode et les buts qui s'y rapportent. Dès lors réforme et rigueur ne sont pas comparables, puisque le réformateur peut aussi bien choisir de gouverner dans le sens du progrès, que dans le sens d'une régression. C'est ainsi qu'avec aplomb il nous est annoncé que nous allons tous devoir faire des économies - un mot qu'on ne nous épargne (sic) pas - pour que le gouvernement continue à distribuer les cadeaux fiscaux à une infime part de la population, à détricoter le droit du travail, dépénaliser le droit des affaires, déconstruire un demi-siècle de politique étrangère indépendante et soucieuse du long terme et des équilibres, réduire la qualité, la diversité et la présence de nos services publics...
Avec le sourire, sous le regard admiratif des multinationales et de nos fleurons industriels qui ont multiplié ces dernières années leurs rentes financières dans des proportions jamais aussi exceptionnelles, on explique, dans un langage volontairement décalé, au tiers d'entre nous qui n'ont plus grand-chose une fois le loyer acquitté (le propriétaire d'une maison en cours de crédit est aussi finalement le locataire de sa banque, quand bien même il se constitue un capital) et les dépenses de première nécessité honorées, qu'il va falloir se serrer la ceinture... Il s'agit bien de rigueur, et celle-ci ne ressemble pas aux politiques ou périodes dites de "rigueur" que nous avons connues dans ces trente dernières années; la situation est bien plus grave.
Les politiques de rigueur que nous avons connues ont eu cours en des temps où les classes moyennes pouvaient supporter - quoique cela fut injuste - des restrictions et un retrait de l'Etat dans sa politique de soutien social et financier. En des temps où des salariés ne dormaient pas dans leurs voitures par manque de logements accessibles financièrement. En des temps où les associations caritatives, avec une organisation parfois sommaire, faisaient face à la pauvreté et n'étaient pas débordées par une massification de la population en besoin, voire en danger.
Non, aujourd'hui, nous dit Sarkozy, il ne s'agit pas de rigueur, il faut réformer ! Et pour accréditer encore l'idée de progrès, il parle de modernisation des politiques publiques ! Comme la réforme moderne n'intègre pas à sa définition les caractéristiques de la modernité. Il ne signifie purement qu'une adéquation avec notre temps, par rapport au temps qui nous a précédé et qui a représenté une autre époque.
C'est avec pédagogie et opiniâtreté qu'il nous faut mener aujourd'hui, en même temps qu'une bataille idéologique et politique, une bataille culturelle. La guerre des mots est hautement plus prégnante dans la société actuelle, hypercommunicante, nourrie de paraître et de consumérisme.