Le renouveau démocratique

(30/04/2011)

Avec son histoire singulière, notre pays nous a donné, jusqu'aux bancs de nos écoles, la suffisante impression que nous étions les champions de la démocratie.

La Révolution Française et l'héritage des Lumières, de Voltaire à Montesquieu, nous grandissent en effet.

Cela nous grandit mais nous endort. Et nous dormons depuis si longtemps sur nos lauriers que ces derniers commencent à piquer.

Cet endormissement se traduit par la perte de vue des principes démocratiques qui nous semblent acquis, inamovibles et durables.

Cependant, comme en Hongrie il y a seulement dix jours, ces principes peuvent disparaître à la faveur d'une réforme constitutionnelle rétrograde. Ce pays, membre de l'Union Européenne, ne vient-il pas, entre autres, de supprimer l'égalité devant la loi ? De basculer dans un régime autoritaire et fasciste ?

Sommes-nous armés pour faire face à cela ? Sommes-nous aujourd'hui capables de faire rayonner la démocratie en France et dans le monde, de la nourrir, de la développer, de la perfectionner, de la rendre attractive et tellement préférable à tout autre modèle politique ?

C'est en essayant de répondre à cette interrogation que la fragilité de nos propres institutions démocratiques pourraient bien nous sauter aux yeux.

Là, il serait hautement polémique de montrer du doigt le gouvernement actuel de la France tel un coupable à désigner exclusivement.

Bien sûr que non. Pas plus lui seulement que nombre de ceux qui l'ont précédé et qui ont bien souvent relégué à l'arrière-plan de leurs préoccupations la question démocratique.

Nous dirons pour le moins que celui-là n'a rien entrepris non plus pour rapprocher les français des principes démocratiques.

Tout au contraire, il les en éloigne, les divise, les ramène à leurs peurs et réflexes individuels dès lors peu enclins à appréhender, comprendre et penser l'intérêt général.

Et pourtant, l'histoire même de la démocratie, aussi vieille que celle des lois, parsemée d'expériences variées et de péripéties, pourrait aisément aujourd'hui nous montrer la voie.

Encore faudrait-il que nous nous préoccupions sérieusement de la crise politique qui vient à grands pas et dont nous ne connaissons pas l'issue en termes de progrès ou de régression de l'humanité.

Cette crise politique sanctionne traditionnellement une séquence que nous connaissons par cœur au regard de l'Histoire et qui s'est jouée suffisamment pour en faire une règle : crise financière, puis crise économique, puis crise sociale, et enfin crise politique. Je le répète volontiers : nous ne savons pas encore la force ni la teneur de cette crise politique. Nous ne savons pas non plus, derrière ce mouvement, quel autre monde naîtra, sous quelle forme, avec quels principes.

C'est pourquoi nous devons préparer le renouveau de la démocratie au lieu d'assister, passifs, à son possible naufrage. Pour cela, il nous faut débattre et avancer. Puis faire avancer.

Au préalable, traitant de la démocratie, il semble nécessaire d'écarter un premier débat qui est historiquement dépassé. Celui qui se tient entre démocratie directe et démocratie représentative. La démocratie directe se voudrait la plus fidèle à la définition originelle de la démocratie : un gouvernement par et pour le peuple. Ainsi ce dernier exercerait collectivement son pouvoir, et, quelle qu'en soit son organisation, aucun citoyen ne serait écarté de ce dernier. Pour ne citer que les expériences récentes à l'échelle d'Etats, les soviets de l'URSS du début du 20ème siècle nous enseignent encore l'échec de ce modèle.

Nous accepterons cependant d'observer qu'à d'autres échelles, plus petites (celles d'une communauté, ou d'une entreprise par exemple) l'exercice du pouvoir directement par ses récipiendaires est non seulement possible mais mérite aussi d'être développé dans le cadre du renouveau démocratique.

De même, certains procédés ou institutions, comme le référendum ou les conseils de quartier, sont autant de moyens apparentés à la démocratie directe qui méritent d'être développés. On a pris l'habitude aujourd'hui de les classer sous le terme générique de démocratie participative.

Cependant, pour écarter définitivement ce débat, nous dirons que la participation des citoyens à leur propre gouvernement nécessite qu'une partie d'entre eux soient mandatés pour cela.

C'est la démocratie représentative qui l'emporte objectivement dans l'histoire de nos civilisations. Et nous voilà au cœur du vrai débat : la démocratie représentative se pose en modèle politique indépassable de toute société humaine, et pourtant, c'est de l'intérieur qu'elle se mine lorsque la confiance entre représentants et représentés est en crise.

Que faire ? Certainement renouer avec les principes qui en ont conditionné la meilleure expression, et qui sont aujourd'hui malmenés de toutes parts. Mais aussi en inventer de nouveaux pour la réactualiser et la consolider.

Voici donc, selon moi, des pistes de réflexion articulées autour de quatre idées-forces : une représentation démocratisée, des institutions adaptées, des pouvoirs séparés, une citoyenneté éduquée et élargie,

Démocratiser la représentation. Cela fait bien longtemps qu'on pointe la question de la professionnalisation de la représentation comme une dérive inacceptable. La notion même de « classe politique » est apparue et ladite « classe » n'a pas pris la responsabilité d'en limiter sa propre réalité puisqu'elle est elle-même décisionnaire en la matière... Rappelons que, pourtant, il s'agit toujours de représenter le peuple et l'intérêt général... Il est serait donc logique et pertinent qu'un véritable statut de l'élu, inscrit dans la Constitution, permette à chacun d'avoir mandat, et de l'exercer dans un temps limité. Qu'il ne soit par ailleurs cumulé avec aucun autre dès qu'il se définit comme exécutif. Ce qui est par ailleurs remarquable, et nous pourrons en reparler, c'est qu'une telle évolution ne réclame pas seulement l'évolution des dirigeants politiques, mais aussi celle de nos concitoyens... Que n'ai-je entendu dire il y a encore peu de temps qu'il était dommage que tel candidat aux élections ne soit pas maire afin qu'on le connaisse un peu mieux !

Démocratiser les institutions. Prenons pour exemple les Constitutions successives de la République française. Voilà l'exemple qui fait mal. Que notre pays éclairât le monde de ses lumières n'empêche nullement que nous n'ayons aujourd'hui le meilleur modèle en l'espèce. A la faveur de la guerre d'Algérie, le retour au pouvoir d'un général allergique aux débats entre les différents courants politiques français a accouché d'une Constitution sur mesure dont se sont malheureusement accommodé ses successeurs, y compris celui qui en avait le mieux critiqué la forme, en la personne de François Mitterrand dans son fameux essai « Le coup d'Etat permanent ». Tout en permettant une certaine stabilité de l'Etat et des gouvernements, le rôle de la représentation nationale est à remettre au premier plan. Le travail du parlement, c'est une forte garantie d'une large expression de l'intérêt général. A ce titre, le simple fait que son élection succède à la présidentielle est un contresens qui empoisonne notre démocratie. Le Parlement doit cesser d'être entravé dans son action législative et de contrôle du gouvernement. Rappelons ici que nous traitons de démocratie et non de République... L'exemple de la monarchie constitutionnelle en Grande-Bretagne suffit à démontrer qu'un autre régime qu'une République peut être en meilleure capacité de revendiquer un fonctionnement démocratique... Ainsi, qu'on la nomme 6ème République ou 5ème bis, une république primo-ministérielle et parlementaire ouvre la voie constitutionnelle d'un renouveau démocratique.

Séparer les pouvoirs. Dans « L'Esprit des lois », ce que Montesquieu affirme en traitant de la séparation des pouvoirs est fondamental. Et pourtant, trop de libertés ont été prises avec ce principe. Il mérite d'être suivi à la lettre, et même de s'enrichir au regard de l'organisation de nos sociétés modernes où les grands groupes financiers, les grandes entreprises, et enfin les médias ont lié avec la représentation démocratique des rapports qui ont nécessité à être réglementés. Là encore, des règles et des principes ont vocation à cadrer les libertés prises par certains pour garantir la liberté de tous. C'est aussi l'essence de la démocratie. Il en est de même des individus et il est bon de se le rappeler. A ce titre, comme l'analyse Marcel Gauchet dans ses récents ouvrages, le paradoxe d'une liberté sans pouvoir est intenable à terme : seul le gouvernement en commun donne son sens complet à l'indépendance individuelle.

Éduquer à la citoyenneté tout en élargissant son rayonnement. La citoyenneté implique la capacité de l'individu à se considérer comme un être social, faisant partie d'un tout. Les droits et devoirs du citoyen sont insuffisamment respectés. Le fossé se creuse et ouvre la possibilité d'une crise profonde. Les droits sociaux reculent et l'on ne peut dès lors exiger du devoir chez celui qui n'est porté que par quelques intérêts matériels et personnels liés à sa condition sociale. La question du vote obligatoire, récemment soulevée, ne peut être étudiée, comme l'ensemble des devoirs citoyens, qu'à l'aune d'un progrès social significatif. Par ailleurs, ceux d'entre nous qui côtoient des institutions parallèles à l'exercice du pouvoir, conseils de quartier, conseils des sages, conseils municipaux de jeunes, auront remarqué que leurs membres ont une tendance à voir évoluer positivement leur perception de l'intérêt général, et à inscrire leur vision du monde dans un temps moins brutal que la satisfaction d'un besoin particulier. Ces expériences nous indiquent que cette voie est à développer sans limites dans la mesure où elle rapproche mécaniquement les représentants des représentés et consacre la notion de citoyenneté. Des formes nouvelles méritent d'être entreprises. C'est toujours plus difficile à gérer pour le pouvoir, mais c'est sans doute le prix à payer pour sauvegarder durablement ce bien commun qu'est notre démocratie, et la faire progresser. Là encore, la société du « prêt à penser » et de la vitesse joue contre cet idéal. Elle a modelé des cohortes de conformistes et de rebelles qui sont parfois les mêmes sans tenir réellement leur rôle de citoyen. Aussi, rendre la citoyenneté vivante nécessite de l'intégrer pleinement au fonctionnement démocratique. Ces pistes de réflexion et d'action ne tolèrent pas la paresse. Cette paresse, cet endormissement, paralyse encore aujourd'hui bon nombre de responsables politiques, d'intellectuels, de responsables associatifs ou syndicaux, de citoyens dont l'implication politique est une consommation comme une autre sans plus ni moins de vision à long terme.

Souvenons-nous aujourd'hui de la détresse du Tiers-état dans la France du 18ème siècle, et de la Révolution Française qui suivit. Souvenons-nous aujourd'hui de la débâcle de 1940, et du régime de Vichy qui suivit. Regardons aujourd'hui l'immense espoir d'anciennes colonies avides de liberté, et ce qui s'en suivra.

Réfléchissons aujourd'hui à ce que demain les sociétés humaines seront poussées à embrasser.

Les tremblements de l'Histoire finissent tous en une crise de régime où ceux qui sont les mieux armés et préparés à cet instant en infléchissent le cours. Cette question est centrale et tout bon démocrate et républicain ne peut en faire l'économie et doit s'en saisir.

Partout où c'est possible. Car nous avons sûrement de quoi la faire vivre plutôt que de ne point douter qu'elle survive à tout.