Il faut sortir les citoyens du rôle de consommateur-électeur

Par Mathilde Elie le 6/05/2022 : https://www.lagazettedescommunes.com/804267/il-faut-sortir-les-citoyens-du-role-de-consommateur-elec...  

Si de nombreuses communes rurales ont placé Marine Le Pen en tête au second tour de l’élection présidentielle, Yvan Lubraneski, maire des Molières (Essonne), et vice-président des maires ruraux de France (AMRF), chargé de la culture et de la démocratie, estime que le vote extrême n’est pas une fatalité. L’une des solutions réside selon lui dans la participation citoyenne pour plus de coopération et moins de confrontation.


Après les scores, parfois très hauts, de Marine Le Pen dans les zones rurales, les élus locaux tentent de comprendre le vote de leurs administrés. Aux Molières (Essonne), Yvan Lubraneski, maire et vice-président des maires ruraux de France, chargé de la culture et de la démocratie, se félicite lui « du plafond de verre auquel se sont heurtés les votes déraisonnables ». Au second tour, la candidate du rassemblement national n’a en effet récolté que 21,99% des voix. Auteur de « 30 propositions pour pratiquer la démocratie », l’élu met en avant l’importance de la démocratie participative qui permet d’installer « une culture de la coopération plutôt que de la confrontation ».

Comment comprenez-vous le vote Le Pen dans les petites villes ?

Nous sommes dans une crise à la fois politique et sociale qui fait que de toute façon, au niveau local comme au niveau national, la capacité de l’élu à donner des solutions rapides aux problèmes sera remise en cause. Les territoires ruraux ont été abandonnés trop longtemps et le rattrapage du déficit d’aménagement territorial est loin d’être rattrapé. Il y a un décalage entre ce qui a été mis en place récemment et les résultats concrets. Par exemple, nous mettons en place l’agenda rural. Mais nous n’en verrons les résultats que dans quelques années. Ce mécontentement fait partie des racines d’un vote contre Emmanuel Macron.

Quelle est la responsabilité des élus locaux dans ce vote ?

Il y a plein d’explications dont une partie peut être liée à la responsabilité des élus, même locaux. Plus le climat général dans la commune est un climat de coopération avec les citoyens, plus cela va influer sur le vote – même s’il s’agit là d’un vote national à considérer différemment d’un vote local. La citoyenneté n’est pas spontanée, elle s’acquiert et chaque institution doit prendre sa part pour aller "chercher" le citoyen. La dynamique de coopération et de participation doit être réelle parce qu’aujourd’hui les discours et les postures ne servent plus à rien. Aux Molières, j’estime que nous avons de l’avance sur le sujet.

Concrètement comment cela se traduit ?

Souvent, la démocratie participative se limite à permettre aux citoyens de valider des projets déjà décidés. Or je pense que l’élu doit accepter de ne pas avoir l’exclusivité de l’initiative. Aux Molières nous avons des comités qui associent l’ensemble des citoyens pour tous les sujets. Dans le bulletin municipal nous faisons le récit des réalisations. Quand les citoyens ont participé à la mise en place d’initiatives, on le dit, on le célèbre, on les remercie et cela donne envie à d’autres de participer.
Dans ma commune il a fallu trois ans de pratique pour qu’une partie des habitants se sentent écoutés et leur parole valorisée. Lors du précédent mandat nous sommes montés à plus de 200 participants, ce qui représente 10% de la population.

Cela permet aussi aux habitants de mieux comprendre leurs élus…

Cela rapproche tout le monde ! Les citoyens découvrent dans les groupes de travail quelles sont nos difficultés. Et quand on parvient à notre objectif, ils prennent conscience du travail que cela a demandé. Comprendre les processus de décisions est primordial. Cela permet de faire sortir les citoyens de ce rôle très réducteur de consommateur-électeur qui n’est pas la pleine définition d’un citoyen. La démocratie participative ne doit pas être agitée comme une antithèse de la démocratie représentative. Elle est là pour la consolider.

Les élus sont-ils suffisamment formés à cela ?

On pourrait imaginer une formation à la concertation, avec des élus d’horizons divers et du retour d’expérience. C’est d’ailleurs ce que nous essayons de faire au sein de l’AMRF. On pourrait aussi élargir le rôle de la commission nationale du débat public (CNDP) en donnant la possibilité de la saisir pour être accompagné en tant qu’élu dans les processus de décision. Tout cela prend du temps mais derrière vous en perdez moins à réparer ce qui est imposé ou mal compris. C’est une forme de prévention qui devrait motiver les élus à toutes les échelles. La confiance ne peut grandir qu'avec une culture de la coopération, plutôt que de la confrontation.