Connaissiez-vous ce texte ?

(3/04/2009)

"Nous travaillons pour des spéculateurs, qu’on nomme maîtres, comme pour rappeler notre esclavage, et qui font fortune et qui vivent grassement sans faire grand-chose d’utile ; en outre, il s’est établi entre les producteurs et les consommateurs, une foule de trafiqueurs, négociants, commissionnaires, dépositaires, marchands, revendeurs etc... qui se bornent à acheter et vendre pour gagner, et que je désignerai, avec les maîtres, par le nom commun d’intermédiaires.

Ces intermédiaires ne donnent aucune valeur réelle aux marchandises qui leur passent par les mains ; loin qu’ils facilitent l’échange ils le gênent par une infinité d’opérations mal entendues : leurs fausses spéculations, les banqueroutes tuent le commerce et l’industrie.

Cependant, qu’ils réussissent ou non dans leurs affaires, ils n’en retirent pas moins des bénéfices aux dépens de nos bras.

Tous ces bénéfices divers nous enlèvent le plus net et la plus forte partie du produit de notre travail.

La libre concurrence force à vendre et à travailler toujours au rabais, et pourtant elle restreint les gains de plus en plus. Nous en sommes déjà arrivés au point que les commerçants et les manufacturiers ne peuvent plus guère réussir qu’à l’aide de roueries et de fraudes, et que nous, ouvriers, nous ne pouvons plus vivre ; nous ne pouvons pas consommer, et notre travail en éprouve des interruptions.

Voyez comme nos salaires sont diminués depuis trente ans, indépendamment des amendes, des retenues, de tout ce que la rapine et la mauvaise foi conseillent pour nous arracher une partie de ce que nous gagnons.

La concurrence entretient la lutte entre les capitalistes, et ruine les uns au profit des autres ; il s’en suit que les capitaux se concentrent dans quelques mains ; ceux qui les possèdent sont les maîtres du peuple ; c’est pour eux que nous travaillons, c’est pour eux que nous souffrons ; c’est nous qui payons leurs palais, leurs lambris dorés, leurs équipages, sous les roues desquels ils nous broient en passant [...] et tous ces sacrifices de notre part ne font que nous rabaisser à leurs yeux et accroître leur insolence".

Charles de Rouen, 1840

Il s'agit du message d'un ouvrier tisserand qui s'appelait Charles Noiret.